Effets corporels de la langue ?

Florencia F.C. Shanahan

 

« À partir de la jaculation Yad’l’Un, le corps apparaît alors comme l’Autre du signifiant, 
en tant que marqué, en tant que le signifiant y fait événement et alors,[…] 
cet événement de corps qu’est la jouissance apparaît comme 
la véritable cause de la réalité psychique. »[1]

 

Qu’il est difficile de parler des effets ! Cela nous rend débiles, nous fait croire que nous pouvons saisir la cause. Devrions-nous alors parler des affects ? … ou pire.

Quand une analyse produit un analyste, c’est dans la mesure où elle permet la séparation : séparation d’avec le sens, d’avec la signification (toujours œdipienne), de la vérité en tant que fiction qui, avec sa fixion dans le fantasme fondamental, obture le lieu de la cause comme réelle. Dans l’instant de la chute, de l’éclair, que sont la destitution et le désêtre à la fin de l’analyse, se trouve l’impossible adéquation entre le nom et la cause.[2] 

Il ne s’agit pas seulement de se séparer des histoires de papa-maman, de la petite sœur et du grand frère. Bien qu’il soit souhaitable que cela se produise aussi, la séparation doit aller plus loin. Et la question est de savoir comment cela peut se produire…

Le problème de mon poids se présenta lors de nombreuses séances. J’avais souvent entendu : « Tu pesais si peu à ta naissance ! à peine un kilo… ». Ceci attacha l’ombre de la mort à ma consistance corporelle.

Ainsi, mon analyse oscilla entre comment m’arrêter de prendre du poids - me faisant si lourde et si dense qu’il n’y avait place pour rien d’Autre -, et comment ne pas disparaître dans mes efforts pour me vider, toujours trop attirée que j’étais par « l’insoutenable légèreté de l’être ».

« (…) il est donc évident que rien ne se parle qu'à s'appuyer sur la cause. Or cette cause, c'est ce que recouvre le soll Ich [...] qui, d'en renverser le sens, fait jaillir le para­doxe d'un impératif qui me presse d'assumer ma propre causalité. Je ne suis pas pourtant cause de moi … »[3]

Commentant cette phrase, Jacques-Alain Miller[4] formule que cet impératif n’est corrélé à aucune liberté mais, au contraire, au déterminisme d’un « Je suis causé ». La question est de savoir si on l’assume ou pas. « C’est pourquoi Lacan, dans ce texte, fait un détour par la Chose. La Chose va avec la cause. Il s’agit de la problématique de la position première du sujet par rapport à la Chose, à l’égard de ce à quoi le sujet se réfère d’abord, et où ce rapport se formule justement en termes de foi, de croyance, d’aversion, d’attirance ou de compulsion. Par rapport à ce premier terme Autre, le sujet est dans une relation comme telle pathétique. C’est ce par rapport à quoi il prend sa distance première, cette distance qui est ce que Freud a appelé la défense […] Lacan, à l’époque, en parle en termes « d’affect primaire antérieur à tout refoulement ». Cet affect primaire antérieur à tout refoulement, ça désigne le niveau de la Bejahung où se joue l’orientation du sujet et où se trouvent reliés d’une façon primordiale l’affect et le consentement. Ce dont il s’agit avec ce terme de cause, c’est de cette connexion de l’affect et des modes du oui. »[5]

Je suis à un congrès de l’AMP. Je retire mes bagages du vestiaire avant le début de la dernière session plénière, afin d’être la première à partir, vite, quand la foule se dispersera. Ma valise est presque aussi haute que moi, et je la hisse sur les marches de l’amphithéâtre. Je la serre dans mes deux bras tellement elle est lourde.

Tout à coup je lève la tête et me trouve face à mon analyste. Il se dresse juste devant moi et me fixe avec des yeux ronds, sous mon regard incrédule. Il se livre à des gesticulations ridicules et exagérées, imitant en les esquissant dans l’espace les mouvements de mon corps chargé de tout ce poids, soufflant bruyamment comme s’il était hors d’haleine. Puis il reprend son chemin. Je reste figée sur les marches, ne sachant s’il faut en rire ou en pleurer.

C’est dans cet éclair que j’entrevis pour la première fois que l’Autre et l’autre (paire, couple, partenaire) n’avaient jamais été quelqu’un[6] tel que sœur jumelle, mère, amoureux, mari - mais ce corps et son écriture.

 

Traduction : Dominique Chauvin


Références

[1] Miller, J.-A., « L’être et l’Un », Cours du 11 mai 2011, inédit. 

[2] Laurent, É., El nombre y la causa [Le nom et la cause], Ed. M. Gómez, Córdoba: IIPsi - Instituto de Investigaciones Psicológicas [CONICET y UNC], 2020. 

[3] Lacan, J., « La science et la vérité », Écrits, p. 865.

[4] Miller, J.-A., « Cause et consentement », cours du 25 novembre 1987, inédit.

[5] Ibid.

[6] Dans l’original en anglais : “were never anyOne”.