Produits corporels de la langue

Geert Hoornaert

Les effets psychiques et culturels du langage ont longtemps couvert quasiment tout le champ d’étude de la psychanalyse. Le langage, en traçant des itinéraires et des routines, a fonction de régulation pour le sujet et son corps ; il provoque, d’autre part, un morcellement qui arrache le sujet de tout immanence à lui-même. L’inventaire freudien de ce que le langage trace est connu : nervosité moderne (1908), malaise (1930), complications dans l’éros par l'introduction d’un au-delà du principe de plaisir (1920); perte de réalité (1924), inhibitions, symptômes, angoisse (1926), compulsions (1907); fantasmes (1908), rêves (1900), romans familiaux (1913), théories infantiles (1908); religions (1927) et tabous (1912) - et ainsi de suite. Notre titre Effets corporels de la langue fait aussi référence à ce paradoxe, à cette confluence subjectivement déchirante du langage comme régulation et du langage comme disruption. 

Il va aussi au-delà. Si l’inventaire freudien nous donne en quelque sorte les ‘cathédrales’ que la structure place sur les chemins de la vie, ce titre nous invite à ne pas perdre de vue ce que la langue et les signifiants, en se déconnectant de la structure, induisent : des courants de jouissance qui soufflent et s’insinuent dans les interstices et les couloirs de ce que la structure construit. 

Il met l’accent sur le produit de jouissance du signifiant, plus consistant que l’effet signifié, qui est évanescent[1]. Ce produit est permanence de la libido, son konstante Kraft. « La jouissance dont il s’agit est de l’ordre de la nappe, d’une nappe parcourue de vagues, d’ondes, qui mesurent, pour chacun, la distance où il est du rapport sexuel qui n’existe pas”[2]. Résonne, dans ces ondes, la fêlure que l’impact du signifiant a produit dans la cloche[3].

Ainsi, les ondes de la jouissance s’insinuent partout. Si la rencontre hasardeuse du corps et du signifiant a mortifié le corps, elle en a aussi « détachée une parcelle de chair dont la palpitation anime tout l’univers mental. L’univers mental ne fait que réfracter indéfiniment la chair palpitante sous les guises les plus carnavalesques, et il la dilate jusqu’à lui donner la forme articulée de cette fiction majeure que nous appelons le champ de l’Autre »[4].

Le thème de notre Congrès nous invite ainsi de reprendre les fondamentaux de la psychanalyse, mais à l’envers.


Références

[1]    Jacques-Alain Miller, L’économie de la jouissance, La cause freudienne 77, p. 154.

[2]    Ibid., p. 164.

[3]    Ibid., p. 146.

[4]    Jacques-Alain Miller, Parler avec son corps, Mental 27/28, p. 132.