Biopolitique et présence des corps

Frank Rollier

Lacan nous rappelle  que l’impératif est « ce qu’il y a de plus originel dans la parole »[1] et qu’il appartient à la structure même du discours du maître. Au temps de la pandémie et de la biopolitique triomphante, notre vie est rythmée par les impératifs d’un maître assujetti aux évaluations de comités sanitaires.

Le confinement et la distanciation sociale contraignent les corps ; partout s’impose le mode virtuel : télétravail, loisirs sur écran, visio-conférences. Cet usage nouveau de la langue, qui fait fi des rencontres en chair et en os, produit sur le corps des effets de mortification et de jouissance : isolement, angoisse, envahissement par l’imaginaire, fatigue.

Jusqu’à notre pratique qui se laisse entamer par ce mode incorporel et irréel avec l’essor des séances d’analyse ou de contrôle par téléphone ou Skype, ce que nous qualifions de moindre mal, sans doute préférable à leur absence. Lacan identifie le discours à une épidémie[2] et on sait que cette dérive devient elle-même virale, déjà la norme sous d’autres longitudes.

Certains patients disent leur plaisir à s’extraire de chez eux pour se déplacer en séance. Nous savons que seule la présence des corps entre quatre murs faits « pour entourer un vide »[3], permet à la parole « considérée en tant que pulsion »[4] de se déployer, au silence de résonner et rend possible l’écriture de l’absence de rapport sexuel. La séance corps présents, un nouvel agalma ?


Références

[1] Lacan J. : « Conférence à Genève sur le symptôme ». La cause du désir N° 95, p. 7-22. 

[2] Laurent E. : « Les biopolitiques de la pandémie et le corps, matière de l’angoisse », Lacan Quotidien N° 892.

[3] Lacan J. : « Je parle aux murs », Paris, Seuil, 2011, p 87.

[4] Miller J.-A. : L'orientation lacanienne, « Le tout dernier Lacan », 13 décembre 2006, inédit.