La jouissance est interdit à qui parle comme tel

Russell Grigg

La jouissance est interdite à qui parle comme tel[1]

Il y a deux façons de jouir, malgré cette interdiction qui frappe la jouissance. La première est transgression. Elle implique d’emmener la satisfaction interdite au-delà de la limite du plaisir. C’est l’impératif sadien : encore un effort… pour aller au-delà du principe de plaisir en tant qu’il est limité par la souffrance de l’autre. Nul symptôme n’est indemne d’un trait de transgression. 

La seconde façon de jouir s’obtient par le biais de la jouissance en excès : c’est la filiation kantienne. La source de cette satisfaction ne repose pas sur un simple consentement à la loi mais sur ce que Kant appelle le respect de la loi et ce pour le bien de la loi elle-même. Le « respect » de la loi, la droiture morale, ne sont pas uniquement dissociés du bien être mais ils déprécient aussi les appétits. Cela ne vient pas du corps mais de la loi, ou disons-le dans nos termes, l’impératif du signifiant. 

La jouissance de l’anorexique est kantienne. La question n’est ni l’image du corps ni même l’insistance de la pulsion orale mais le respect de la loi comme telle, qui la commande. L’anorexique refuse le plaisir oral pour quelque chose de plus élevé et le “respect” de  cet impératif d’abnégation participe à l’élever elle-même moralement. Dans sa recherche sans répit d’une victoire sur les exigences du corps, c’est sa volonté qu’elle met au défi tout démontrant sa supériorité sur des pairs qu’elle méprise. Loin de fuir son désir à l’endroit de la nourriture, elle le nourrit. Elle compulse les recettes, elle connaît les menus des grands restaurants de la ville, elle cuisine de délicieux plats pour le commun des mortels pendant qu’elle s’affame, elle adore manger dehors… mais préfère toujours le menu au contenu de l’assiette. 

Sa vie est une spirale infernale puisqu’il y a toujours quelque chose qui se présente en plus qu’elle doit s’interdire de manger. La réelle gloutonne est la loi  pour laquelle elle vit et comme Freud l’a démontré, plus l’anorexique sacrifie à la loi, plus le sacrifice qui lui est demandé sera grand.

 

Traduction: Jean Luc Monnier


Références 

[1] Lacan J. Subversion du désir et dialectique du désir,  Écrits, ParisSeuil, 1966, p. 821. Dans son cours du 12 mars 2008 (« La psychanalyse liquide »), Jacques-Alain Miller esquisse une approche des événements de corps à partir de la distinction du langage et de lalangue.