L’écriture comme effet du langage sur le corps

Myriam Mitelman

 

Dans la mesure où l’intelligibilité des manifestations de l’inconscient relève de procédés d’écriture, tentons de saisir quelque chose des effets de la langue sur le corps à partir de là. 

A lire la passionnante histoire de l’écriture de Clarisse Herrenschmidt, Les trois écritures : langue, nombre, code[1] l’on saisit que, si l’écriture a été inventée à des fins de savoir, de comptage, de mémoire, ce n’est pas sans intégrer diversement le corps parlant dans cette symbolisation. L’écriture sumérienne en effet intègre à la graphie l’image du corps, tandis que l’écriture syllabique privilégie le point de vue de l’auditeur, notant ce qui de la langue est entendu, alors que les alphabets consonantiques, constitués de racines sémantiques, produisent des lettres représentant des « non-sons », qui requièrent la mise en jeu du corps (souffle, voix) pour leur énonciation.

L’on peut noter que l’histoire de l’écriture se caractérise par une disjonction d’avec le sens : si la graphie sumérienne entretient une certaine correspondance entre les objets du monde et la part de langage rendue visible par l’écriture, l’alphabet consonantique s’émancipe déjà de l’image, tandis que le système syllabique puis l’alphabet grec produisent un système de notation totalement affranchi du sens, réalisant ce que C.Herrenschmidt appelle « la désunion entre les choses du monde et les choses du langage ».

L’inépuisable histoire de l’écriture, à laquelle Lacan renvoie sans cesse son lecteur, nous enseigne, à partir de ce nouvel ouvrage, que dans une analyse, ce n’est pas le signifiant qui est à lire (celui-ci s’entend ou s’écoute), ni la lettre au sens de notre alphabet — cette acception ne rendrait compte ni de l’apport du livre de C.Herrenschmidt, ni des notions que Lacan convoque à propos de l’écriture : missive, trait unaire, trace —, mais les effets de la séparation  entre les choses du langage et les choses du monde, produits en quatre millénaires par la lente production d’un alphabet indifférent au sens, dont les rapport au corps dans son opacité sont les énigmes mêmes qui se déchiffrent dans les cures.


Références

[1] Herrenschmidt C., Les trois écritures : Langue, nombre, code, Paris, Gallimard, 2007.