La topologie du corps de Lacan et Anish Kapoor

Abe Geldhof

 

Lacan s’est toujours intéressé à la topologie car, grâce à celle-ci, il a pu isoler des modèles tridimensionnels pour penser la question complexe des effets corporels de la langue. Pourtant, ses références topologiques n’étaient pas toujours les mêmes. Au fil des années, à partir des questions qu’il abordait, il se servait de figures différentes. Dans son Séminaire IX (1961-1962) Lacan utilise le tore pour montrer que le désir est déterminé par un double manque dans l’articulation entre besoin et demande. Dans son Séminaire X (1962-1963) il se sert de la bande de Möbius pour saisir comment l’extraction d’un objet supporte le cadre de la réalité fantasmatique du sujet. Et plus tard, dans son étude de Lol V. Stein (1965), il utilise le cross-cappour situer l’objet comme une partie du corps qui n’est pas spécularisable et qui est nécessaire en tant que support de l’image du corps: → i(a).

Ce point innommable où dedans et dehors sont interchangeables est exactement ce que l’art d’Anish Kapoor met à l’épreuve. Cet artiste contemporain très intéressant aborde le thème lacanien de la topologie du corps en termes abstraits. Prenons par exemple Descent into limbo, où l’artiste crée un trou le plus noir possible. “Ce n’est pas à entendre comme un trou dans le sol, mais comme un tapis noir attaché au sol. Il ne s’agit pas d’un espace vide et obscur, mais d’un espace plein d’obscurité »,[1] disait-il. Ou considérons maintenant My Body Your Body où le bord entre dedans et dehors devient problématique. “Je suis sans cesse obsédé par la question de l’intérieur,” affirmait-il.[2] Ou bien: “Je ne m’intéresse pas à la référence à soi-même, je ne peux pas imaginer quelque chose de plus horrible.”[3] Son œuvre ne concerne pas l’ego, mais l’impact de la langue sur le corps. En effet, une analyse menée suffisamment loin – Anish Kapoor ne cache pas sa propre analyse de 25 ans – peut créer une distance vis-à-vis de ce qui a constitué son propre point d’horreur et peut jusqu’à un certain point répondre à la question de savoir comment le corps est façonné par la langue. 

 

Revisé par Lorenzo Speroni